Dans un monde qui carbure à la vitesse de la lumière, qui n’a jamais eu envie de ralentir, de renouer avec des racines intimes ou des traditions culturelles qu’on a parfois laissées filer ? C’est là que l’art textile entre en scène. Longtemps relégué aux savoir-faire d’antan, il revient aujourd’hui avec force, prenant une place de choix dans les créations des artistes contemporains. Et ce n’est pas juste un retour aux techniques d’atelier : le textile devient une voix, un moyen de plonger dans ses racines, de revendiquer son unicité et de tisser des histoires qui résonnent. Prêts pour un voyage entre fils et souvenirs ?



Se découvrir en fils : quand l’art textile parle d’histoires personnelles

Le textile devient un territoire intime où chaque artiste tisse les fils de sa propre identité culturelle.

  • Prenons Billie Zangewa, originaire du Malawi, qui compose des collages en soie célébrant la féminité et la beauté des moments du quotidien. Dans ses œuvres, où les scènes domestiques prennent vie, Zangewa transforme le banal en un hommage puissant à la vie quotidienne, ancrant son travail dans une symbolique africaine profonde. Ses créations ouvrent une fenêtre sur son histoire personnelle tout en révélant une vérité universelle : l’importance de la narration personnelle pour façonner une identité collective.
Billie Zangewa, Soldier of Love (2020). Embroidered silk. Courtesy ©Billie Zangewa
  • De son côté, Sara Ouhaddou, artiste franco-marocaine, puise dans les traditions de son pays d’origine pour réinventer le tissage marocain. Son art réunit passé et présent, traduisant son attachement à son héritage tout en lui insufflant une modernité vibrante. En intégrant des motifs traditionnels marocains, Ouhaddou préserve et réinvente un savoir-faire ancestral, nous invitant à repenser la place de ces traditions dans notre époque contemporaine.

Identité en fibres : s’approprier ou réinventer un héritage textile

L’art textile puise ses racines dans un patrimoine chargé de symboles et de récits ancestraux.

Pour nombre d’artistes, manipuler le textile dépasse largement le geste créatif : c’est une réappropriation profonde, un acte de connexion à une histoire collective.

  • Sheila Hicks, par exemple, incarne parfaitement cet esprit. S’inspirant des techniques de tissage qu’elle a découvertes en Amérique Latine, elle plonge dans des nuances infinies de couleur et de texture. Ses œuvres monumentales, éclatantes de vie et de teintes vibrantes, honorent et réinventent ces traditions, offrant à l’art textile une place audacieuse au sein de l’art contemporain.
Sheila Hicks – Atterrissage. Courtesy © Fondation Louis Vuitton
  • Dans cette même dynamique, Celia Pym quant à elle, explore la mémoire à travers le raccommodage de vêtements usés, chaque point de couture révélant des histoires et des souvenirs tissés dans les fibres elles-mêmes. Ses créations ne se limitent pas à l’esthétique : elles immortalisent des fragments de vie, rendant hommage aux liens subtils et intimes que nous entretenons avec les objets du quotidien, et témoignant de l’émotion qu’ils capturent au fil du temps.

Tisser pour revendiquer : le textile au service de la mémoire collective

Pour certains artistes, le textile devient un terrain de résistance et de revendication.

  • Kaqjay Moloj, artiste guatémaltèque, collabore avec des artisans autochtones pour redonner vie aux textiles mayas, sensibilisant le public aux discriminations endurées par les communautés indigènes. Son art dépasse la préservation de traditions : il leur redonne une voix contemporaine, rappelant que la mémoire collective est un socle essentiel de la lutte identitaire.
  • De même, Sanford Biggers, artiste afro-américain, puise quant à lui dans l’histoire des quilts (courtepointes) de l’époque de l’esclavage pour évoquer les violences raciales aux États-Unis. En fusionnant des motifs traditionnels avec des éléments contemporains, il crée des œuvres chargées d’histoire, qui, tout en portant le poids des blessures passées, insufflent un message de résilience et de dignité pour les générations à venir. Ici, le textile devient un symbole puissant de résistance, rappelant les luttes passées et affirmant un droit inaliénable à l’existence.
Sanford Biggers : Orpheus (2020) | Courtesy of Marianne Boesky Gallery

L’art textile : quand chaque fibre éveille des souvenirs et des émotions

Le textile possède une qualité unique : il crée une connexion émotionnelle profonde, réveillant des souvenirs et des sensations tout en incitant à la contemplation.

  • Chiharu Shiota, artiste japonaise installée en Allemagne, transforme quant à elle des espaces entiers en labyrinthes de fils rouges ou noirs, symbolisant les liens invisibles et la complexité des relations humaines. Ses créations immersives, où le visiteur est invité à se perdre, évoquent la profondeur de la mémoire et la puissance des attaches émotionnelles, rendant tangible ce qui est souvent difficile à exprimer.
Chiharu Shiota. Everyone, a Universe, 2024. Fundació Antoni Tàpies, Barcelona. Photo: Pep Herrero © VEGAP and the Artist, 2024

L’engouement pour l’art textile aujourd’hui témoigne d’une véritable quête d’authenticité.

Dans un monde où tout s’accélère, cet art appelle à un retour à la lenteur, à l’attention portée à chaque geste manuel et à chaque détail.

Il souligne l’importance de prendre le temps de créer, de préserver les savoirs ancestraux, et de se reconnecter aux récits familiaux et culturels.

Et pour ces artistes, travailler le textile, c’est tisser des liens avec des traditions vivantes, réinventer des pratiques oubliées et exprimer une identité unique dans un univers de plus en plus homogène.

En redonnant vie aux fibres, aux nœuds et aux textures, ils ne se contentent pas de créer des œuvres ; ils ouvrent des chemins pour se relier à eux-mêmes, aux autres et aux récits ancestraux en attente d’être partagés.